Alors qu’elle savoure la vie et ses plaisirs, Marjorie apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Ses cheveux tombent. Pour elle, la maladie devient alors synonyme de la perte d’une part de sa féminité. Elle témoigne.
En 2015, alors âgée de 38 ans, Marjorie Jacquet, attachée de presse dans la mode, apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein de stade 3. Cette Parisienne qui croque la vie à pleines dents entame alors un long combat contre la maladie et les dommages collatéraux entraînés par de lourds traitements.
L’un des plus traumatisant pour elle : la perte de ses cheveux. Un sujet sur lequel elle s’attarde dans un livre, « Les cheveux dont je rêvais », paru aux éditions Max Milo. Mêlé à des morceaux choisis de son ouvrage, elle nous livre son témoignage, fort et intime.
Les cheveux, un puissant symbole de féminité
« Quand la gynécologue me dit que j’ai un cancer du sein, je ne me dis pas que je vais mourir, mais que je vais perdre de mes cheveux. Ils sont longs et je ne les couperais pour rien au monde. Cette maladie touche déjà un attribut érotique, le sein, donc perdre aussi ses cheveux c’est catastrophique. Ils sont le prolongement de ma féminité. Je suis traumatisée, je me dis que je vais devenir repoussante, que je ne vais plus plaire, séduire. Ma vie de femme s’arrête là. »
Quand il y a du vent, j’aime sentir ma jupe et mes cheveux s’envoler, comme si au fond j’avais toujours pressenti qu’un jour je perdrais ma féminité. Brutalement. Sans préavis. (extrait p. 36).
L’examen minutieux des photos de femmes chauves sur mon portable m’absorbe entièrement (…) Je veux savoir précisément ce qui m’attend, au bout de combien de temps et de quelle manière leurs cheveux sont-ils tombés, où ont elles trouvé leurs perruques comment ont-elles vécu avec à quel moment, à quel vitesse repoussent-ils, auront-ils exactement la même texture et la même couleur qu’avant ? (extraits p.83-84).
Une perruque « de rêve »
« Très vite, je m’attèle à la recherche d’une perruque. Malheureusement, je découvre que comme c’est une maladie qui à la base touche des femmes âgées, il n’y a pas vraiment de perruques adaptées aux femmes plus jeunes. Je pleure tous les jours pendant deux mois à l’idée de me retrouver totalement chauve. Mes amis demandent alors au coiffeur John Nollet, qui n’est pas du tout spécialisé là-dedans, de me créer une perruque sur-mesure et lancent une cagnotte pour pouvoir me l’offrir. »
Assise dans un fauteuil en velours carmin, je vois son reflet dans le miroir tournoyer au-dessus de moi, prendre les empreintes de mon crâne et couper une mèche de mes cheveux (…) Il dit la même chose que mon père : ‘Quand on a un aussi beau visage que le vôtre, on est belle avec ou sans cheveux ». Il me fixe avec ses grands yeux et demande : « Quels seraient les cheveux dont vous avez toujours rêvé ?’ Longs bien sûr, longs jusque sous les seins. Je tiens à rester féminine (extrait p. 115).
Mes idées noires sont balayées en une fraction de seconde par cette vision enchanteresse, perchée sur une tête artificielle, comme suspendue dans l’air. Je ne vois qu’elle, immensément longue, intimidante, des papillons dansent dans mon ventre, mes jambes tremblent, je souris, subjuguée par sa grâce, sa féminité, troublée par son aplomb. Elle est encore plus belle que dans mes rêves, rien à voir avec toutes celles que j’ai vues auparavant (…) Je sais déjà que notre histoire sera mouvementé, passionnelle. Est-ce qu’elle résistera à la souffrance qui va nous aliéner ? (extrait p.153).
« S’il vous plaît, ne tombez pas »
Chaque matin le même rituel : contrôle de l’oreiller. Je sais que mes cheveux sont censés tomber fatalement dans deux semaines, mais je ne peux pas m’empêcher de vérifier. Plusieurs fois par jour en m’approchant du miroir de la salle de bains, j’attrape deux ou trois cheveux entre mes doigts et je tire délicatement dessus pour contrôler qu’ils sont bien accrochés. Je ne les lave pas, ne les brosse pas, ne les touche pas, ne les attache pas, dans une tentative de résistance absurde et désespérée. S’il vous plaît ne tombez pas. Je vous en supplie, ne tombez pas. Je ferai n’importe quoi. Je ferai tout ce que vous voudrez. Et plus encore (extrait p.141).
Je vois le désastre dans la pénombre de la chambre. Des cheveux parsèment mon oreiller. Il y en a partout. (…) Je reste paralysée de terreur avec cette boule de crin entre mes doigts crispés (extraits p.158-159).
Raser ou ne pas raser ?
Depuis une semaine ils tombent par milliers (…) Aujourd’hui il y a plus de trous que de cheveux. Mon crâne ressemble à un champ de bataille. L’interne en chimio m’a conseillé de les raser. (…) Bien sûr c’est ce que j’avais décidé depuis le début : les raser (…) Cette scène, je me la suis passée en boucle dans ma tête. Le problème, c’est que maintenant, je ne suis plus certaine que ce soit la meilleure solution. L’idée me tétanise, la violence du geste (extrait p.162).
« Aujourd’hui c’est décidé, c’est le grand jour. Le jour de la tonte (…) Indéfinissable, la sensation que je ressens lorsque Benjamin passe l’appareil qui grésille en glissant sur ma tête, quand je sens mes cheveux tourbillonner comme une nuée de papillons aux ailes délicates, avant de s’évanouir sur le carrelage comme si c’était un champ de coton (…) J’ai pleuré mes cheveux pendant des semaines, ils ont finalement disparu dans une simplicité déconcertante (…) Je ne suis pas prête à me voir chauve et je ne sais pas si je le serai un jour (extraits p.166-167).
Le regard des autres et celui que l’on porte sur soi
Avec le recul, je me dis que la perruque m’a été très utile, notamment lorsque j’étais en société, car je n’acceptais pas d’être devenue chauve. Mais d’un autre, on n’est pas du tout à l’aise avec une perruque. Avec les garçons, c’est impossible. Quand il passe la main dedans vous êtes tétanisée. Je ne pensais qu’à elle. Au fait qu’elle pouvait tomber à tout moment. J’aurais eu tellement honte. Ce qui est amusant, c’est que John Nollet m’a récemment confié qu’il était persuadé que le pouvoir de la femme réside dans ses cheveux. Et d’avoir lu mon livre le conforte dans cette idée. Comme je suis en rémission je l’ai gardée (rires). On ne sait jamais ! En plus c’est un cadeau de mes amis, donc il est précieux. Je n’aurais pas pu la jeter. Si je dois m’en séparer un jour, j’en ferais don à une association.
La renaissance (et la repousse) après le cancer
« Dans les mois qui ont suivi l’arrêt des traitements, mes cheveux ont repoussé ». J’ai passé de longues heures chez le coiffeur à les lisser et les éclaircir (extrait p.269).
Trois ans après la découverte de son cancer, Marjorie est une toute nouvelle femme. Elle a quitté son job dans la presse, a monté sa société, « madeforsun », vit entre Paris et Marrakech où elle chine des tapis berbères, et a encore de nombreux projets en préparation. Elle a retrouvé une belle chevelure blonde. Mais désormais, ils ne sont plus le symbole d’une féminité absolue qui dépend ne dépend que du regard des autres, mais du sien, assure-t-elle. À elle seule.
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