Masako, le destin contrarié de la nouvelle impératrice du Japon

Longtemps promise à une brillante carrière de diplomate, Masako Owada est devenue princesse un peu par hasard en croisant le chemin du prince Naruhito, fils aîné de l’empereur Akihito, qu’elle a épousé en 1993. Mardi, elle a été intronisée impératrice consort du Japon.

Une nouvelle ère s’ouvre au Japon. Le 1er mai, le pays du Soleil-Levant a basculé dans l’ère Reiwa après l’abdication de l’empereur Akihito et l’arrivée sur le trône de son fils aîné Naruhito, 59 ans. La femme de ce dernier, la princesse Masako, est alors devenue impératrice consort. Titre confirmé ce lundi lors de la proclamation de l’accession au trône du nouvel empereur. Un défi de taille pour celle qui a vu sa vie basculer depuis son entrée dans la maison impériale et après avoir longtemps été méprisée par le gouvernement japonais.

Harvard puis Oxford

Née à Tokyo en décembre 1963, Masako est la fille de Hisashi Owada, juriste international et diplomate de haut vol. Enfant, elle passe le plus clair de son temps entre l’URSS et les États-Unis, où son père est nommé vice-ambassadeur aux Nations unies. Avec ses deux sœurs cadettes, elle apprend le russe, l’anglais, le français (elle suivra plus tard des cours de français au CUEF de l’Université de Grenoble, NDLR) et l’allemand. Élève brillante, elle est promise à un bel avenir. Elle intègre en 1981 le département d’économie d’Harvard puis s’installe à Tokyo quatre ans plus tard, où elle étudie le droit. En 1986, Masako Owada fait partie des 28 retenus sur les 800 candidats au concours d’entrée au ministère des Affaires étrangères. Elle est alors chargée des négociations avec l’OCDE où elle excelle grâce à ses talents de polyglotte.

Alors qu’elle fait ses premiers pas au sein du ministère, Masako est conviée un soir d’octobre 1986 au palais impérial en l’honneur de l’infante Elena d’Espagne. Officieusement, il est dit que cette réception doit permettre au fils de l’empereur Akihito, Naruhito, de trouver une épouse. Masako, aux antipodes des autres invitées, détonne. Naruhito, 27 ans, tombe sous son charme. Mais Masako s’envole pour Oxford, où elle part étudier les relations internationales. Il en faut davantage pour décourager le jeune prince épris. À son retour de Grande-Bretagne – et deux ans après leur rencontre – Naruhito la demande en mariage. Masako refuse. Hors de question de renoncer à sa carrière prometteuse et encore moins de dire adieu à sa liberté. Il lui fait alors le serment de la protéger, envers et contre tous.

Fausse-couche et « trouble de l’adaptation »

La princesse Masako et le prince Naruhito lors d’une viste au Qatar. (Doha, 12 novembre 1994.)

Le 9 décembre 1992, jour de son anniversaire, Masako Owada accepte finalement d’épouser le prince héritier du Japon. Elle se voit alors dans l’obligation d’abandonner sa thèse – par peur de froisser sa belle-famille – et de renoncer à son poste de diplomate. Jugée trop indépendante aux yeux du gouvernement, elle fait pourtant l’unanimité auprès du peuple japonais, habituellement peu intéressé par la famille royale. En dépit de la promesse faite par son époux, elle doit devenir une ryosai kenbo (bonne épouse et mère avisée, en japonais, NDLR), et songer à concevoir un héritier. C’est chose faite six ans après leur union : la princesse est enceinte. Le palais nie la nouvelle, avant de dévoiler publiquement qu’elle a fait une fausse couche.

Masako échoue donc à la seule mission qui lui est conférée par le protocole : enfanter. Le couple se lance alors dans un processus de procréation médicalement assistée, sujet tabou au Japon, mais qui a le mérite de fonctionner. La princesse tombe enfin enceinte et accouche en 2001 d’Aiko, une fille. Mais au Japon, seuls les hommes peuvent accéder au trône du Chrysanthème. La dynastie est donc menacée d’extinction. Ce «nouvel échec» la plonge dans la dépression. En 2004, son médecin lui diagnostique un «trouble de l’adaptation» en raison du stress lié à sa condition de princesse. Naruhito prend publiquement sa défense, accusant l’Agence impériale d’avoir provoqué sa maladie. C’est la première fois qu’un membre de la famille impériale tient tête à l’institution, suscitant par la même occasion un vif débat au sujet de l’inflexibilité du système.

La famille impériale japonaise

Assis : l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko.
De gauche à droite : la princesse Nori, le prince Naruhito et son épouse Masako, le prince Akishino et son épouse Kiko. (Tokyo, le 11 juin 1993.)

L’empereur Akihito et l’impératrice Michiko. Elle est la première roturière à être devenue impératrice. L’empereur abdiquera le 30 avril pour laisser place à son fils aîné le prince Naruhito. (Hayama, le 21 janvier 2019.)

La princesse Aiko entourée de ses parents. Elle est la fille unique du prince Naruhito, fils aîné de l’empereur Akihito, et de Masako. Cette dernière est une diplomate non issue de l’aristocratie. (Nasu, le 25 août 2018.)

Le prince héritier Naruhito et la princesse Masako arrivent au palace impérial pour célébrer le 60e anniversaire de mariage de l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko. (Tokyo, le 10 avril 2019.)

Lynchage médiatique

Alors que le premier ministre de l’époque s’apprête à ouvrir une consultation sur la possibilité d’autoriser ou non les femmes à accéder au trône, la princesse Kiko – épouse du frère cadet de Naruhito – tombe enceinte. La dynastie est sauvée, et les ambitions de modernisation de la loi sont abandonnées. Quant à Masako, elle devient la cible d’un lynchage médiatique. Elle est accusée de mener une vie fastueuse alors que le pays traverse une crise économique.

Un léger mieux survient en 2013, lorsque qu’elle assiste, au côté de son époux, à l’intronisation du roi Willem-Alexander des Pays-Bas. Sa première apparition officielle à l’étranger en onze ans. Trois ans plus tard, l’empereur Akihito fait part de son souhait de se retirer du pouvoir, cédant ainsi sa place à son fils Naruhito. À l’idée de devenir impératrice, rapporte le magazine Point de vue, elle déclare à l’occasion de ses 54 ans : «Lorsque je pense à l’avenir, je le considère avec une crainte respectueuse… En suivant l’empereur et l’impératrice comme mes guides, je vais intensifier mes efforts pour être en mesure de remplir mes devoirs et [de lui] apporter tout mon soutien.» Et peut-être aussi de prendre sa revanche. Banzaï !

Cet article initialement publié le 1er mai 2019 a été mis à jour.

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