Alors que plus de 300 millions de personnes souffrent de dépression à travers le monde selon l’OMS, nous sommes toutes amenées, un jour, à côtoyer, aider, soutenir un(e) partenaire dépressif. Comment y parvenir sans soi-même s’abîmer ?
“Depuis plusieurs mois, c’est cyclique. Il est d’abord gai, joyeux, complice. Puis, je vais commencer à le sentir sur les nerfs. Il devient plus agressif, s’énerve pour rien et, parfois pour une broutille, il explose. Il crie en me reprochant tout ce qui ne va pas dans sa vie. Je deviens alors la cause de tout. Cela peut durer plusieurs heures dont je sors à chaque fois épuisée. Je m’effondre, je suis seule, mes amis s’étant lassés de voir la situation se reproduire régulièrement”. Des témoignages comme celui-là, écrit par Céline, mariée depuis 10 ans à un dépressif chronique, on en compte des centaines sur la toile, égrenés au fil de forums de discussions thématiques ou de “topics” sur Reddit.
Prenant tour à tour des allures d’appels à l’aide, de messages de soutien ou de simples partages d’expérience, ces publications virtuelles témoignent de la difficulté de vivre aux côtés d’un partenaire en dépression.
Morosité omniprésente
Changements d’humeur, perte d’intérêt pour les activités du quotidien, morosité omniprésente, sensibilité exacerbée, fatigue pesante, irritabilité constante voire agressivité difficilement contrôlée : si les symptômes de la dépression affectent en premier lieu la santé mentale du principal concerné, ils n’en altèrent pas moins les relations entre le malade et celui qui partage sa vie, mais aussi, par extension, le bien-être psychologique de ce dernier, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une femme.
En effet, selon une étude du professeur D. Dubek réalisée sur des couples hétérosexuels, les femmes en couple avec un homme dépressif présenteraient plus de symptômes similaires et de difficultés amoureuses qu’un homme qui serait dans la même situation. Comme le souligne Kathleen Smith, docteur en psychologie et auteur de l’ouvrage Everything’s not that terrible, celui qu’on se jurait d’aimer nous apparaît peu à peu ingrat, paresseux, codépendant voire parfois blessant. On se sent en colère, impuissante face ce mal invisible qu’on ne comprend pas toujours, frustrée de ne pas voir ses propres besoins satisfaits, angoissée à l’idée même de les exprimer face à la réaction souvent imprévisible de celui engouffré dans sa propre souffrance psychologique.
Parfois, ces aidant(e)s de l’ombre glissent eux-mêmes, sans forcément s’en rendre compte, vers des émotions mélancoliques, réagissant inconsciemment à un environnement devenu hautement négatif.
Partir pour se sauver
C’est aussi ce que remarque Anne Sheffield, auteur du best-seller américain How can you survive when they’re depressed, qui note que les conjoints et conjointes de personnes dépressives passent généralement par cinq étapes : la confusion (“Pourquoi je n’arrive pas à l’aider ?”), la remise en question (“Suis-je la cause de sa dépression ? Qu’est ce que je fais de mal ?”), la démoralisation (“On ne s’en sortira jamais! C’est sans espoir!”), la colère (Pourquoi ne va-t-il/ne va t-elle pas se faire soigner? Je ne peux plus supporter cette situation ! C’est injuste !) puis enfin, le besoin de s’enfuir.
“J’ai vécu cette situation avec le père de mes enfants. J’ai supporté un temps cette dépression jusqu’à ce que ça dépasse les limites”, confie à demi-mots Natalia*, 37 ans. “J’ai pris la décision de partir. Pour moi bien sûr, mais aussi et surtout pour mes enfants, car vivre avec un maniaco-dépressif c’est un truc à vous rendre fou”, poursuit-elle, soulevant le problème des répercussions d’une telle pathologie sur sa progéniture.
“Pour ma part, j’ai mis du temps avant de mettre un nom sur son côté tantôt adorable, tantôt infecte”, déclare Roxanne, à propos de son ex-petit copain. “Puis, après des recherches sur Internet, j’ai compris que je n’étais pas seule et que cet état avait un nom : la dépression. J’ai essayé de l’aider, puis avec tous les soucis du quotidien, mon travail, sa famille qui n’aidait pas, je suis passée par une phase de ras-le-bol….et là j’ai décidé de le quitter”, ajoute la jeune femme de 33 ans.
Mimétisme et vulnérabilité cognitive
“Mais comment en arrivent-elles là ?”, se demanderont certains. “Pourquoi ne sont-elles pas parties plus tôt ?”, ajouteront d’autres. Tous les spécialistes s’accordent à le dire : les proches d’une personne dépressive ont tendance à s’oublier au profit de celui qui va mal, quitte à fonctionner peu à peu comme lui.
Un mimétisme aux allures de contagion, qui résulte en réalité d’un processus insidieux de cohabitation avec une humeur dépressive. C’est du moins ce que démontre une étude de Gerald Haeffel et Jennifer Hames de l’University of Notre Dame, publiée en 2013 dans le Clinical Psychological Science. Les chercheurs y démontrent que les aidants de conjoint dépressif vont acquérir sur le long terme une certaine manière de pensée appelée ici “vulnérabilité cognitive”.
Affectant particulièrement les personnes sensibles au stress et aux penchants fatalistes, ce mécanisme reflète finalement les propres carences psychologiques de celui qui est touché. Réalisée sur des jeunes étudiants, l’étude révèle ainsi que ceux qui partageaient leur logement avec des personnes à “grande vulnérabilité cognitive” se retrouvaient peu à peu affectés eux-mêmes, développant eux-même des syndromes dépressifs.
Un jeu d’équilibriste
Comment aider alors l’autre, le soutenir, tout en se préservant de sa pathologie qu’il distille, sans le vouloir, de façon chronique ou à longueur de temps ? “Il s’agit à la fois ne pas se centrer entièrement sur celui qui va mal, mais de savoir aussi l’écouter aux bons moments; d’être présent mais de savoir aussi s’évader pour se ressourcer; de lui parler mais en recentrant sa parole et en choisissant les moments justes, car on peut froisser facilement sa sensibilité exacerbée…”, explique Françoise, bénévole auprès de France Dépression, une association qui propose une ligne d’écoute gratuite*.
L’écoutante et animatrice de groupe de paroles souligne dans les colonnes du Figaro Santé, l’importance de ce travail d’équilibriste à la fréquence quotidienne, qui ne peut être ni celui d’un médecin, ni d’un “sauveur” sinon d’un soutien empathique capable de maintenir son équilibre mentale indépendamment de celui de son conjoint.
Inutile donc de l’enjoindre à “voir la vie du bon côté” ou de l’exhorter à “s’en sortir”, le dépressif n’en fera rien et s’enfoncera potentiellement dans la mauvaise estime qu’il se porte déjà. À l’inverse, la docteur en psychologie Kathleen Smith recommande de communiquer avec votre tendre moitié, de le rassurer sur le fait que vous savez qu’il n’a pas choisi d’exprimer ces troubles, que vous comprenez ses difficultés et son mal-être. Ecoutez-la patiemment sans la juger, ni même parfois lui donner des conseils, ces derniers pouvant être parfois mal-interprétés et être considérés comme une forme de jugement ou d’injonction.
La personne dépressive étant souvent en proie à de forts sentiments de culpabilité et d’auto-critique, on privilégie la prise de parole à la première personne, troquant les tentants “Tu ne fais rien pour aller mieux !” par “Je me soucie de ta santé et j’aimerai que tu puisses accomplir tes rêves”, ne lésinant pas sur les encouragements et la célébration des progrès effectués, même les plus mineurs.
Vivre pour soi, avant d’aider l’autre
Dans cette optique, les experts suggèrent également aux proches de patients dépressifs de les impliquer dans les petites actions du quotidien pouvant améliorer leur bien-être. Ainsi au lieu de leur répéter : “tu dois vraiment sortir de la maison aujourd’hui, va faire un tour”, vous pouvez simplement dire : “j’aimerai faire un tour aujourd’hui. Tu préfères une promenade au parc ou aller voir un film au cinéma ?” et vous résigner à ne pas le forcer, ni à sombrer dans le sarcasme s’il refuse.
De manière générale, si comme 3 dépressifs sur 4, votre conjoint refuse de consulter un psychologue, un psychiatre ou plus généralement d’entamer un processus de guérison, estimant notamment que “ça va passer” ou qu’il “n’est pas fou”, vous pouvez par exemple lui suggérer d’aller simplement consulter un médecin généraliste en lui rappelant que lui non plus n’est pas là pour le juger. Un soutien psychologique en somme, dont le proche aidant peut également bénéficier.
Il s’agit à la fois ne pas se centrer entièrement sur celui qui va mal, mais de savoir aussi l’écouter aux bons moments; d’être présent mais de savoir aussi s’évader pour se ressourcer
Moralement éprouvante, la vie aux côtés d’un dépressif exige en effet de prendre soin en premier lieu de soi. Sortir avec des amis, rester proche de sa famille, continuer à pratiquer les loisirs que l’on aime, partir en voyage, s’offrir des parenthèses enchantées, avec ou sans l’assentiment de celui qui souffre : vivre comme vous l’entendez vous permettra de vous donner l’énergie et la détermination indispensables au soutien de celui que vous aimez. “Étant quelqu’un de très positif, j’ai refusé pendant des années de voir l’état de mon mari”, nous confie Muriel*, 42 ans. “Aujourd’hui, pour “survivre” en somme, j’ai accepté que nous vivions dans deux mondes différents. Je lui laisse son espace, je lui laisse trouver son équilibre et j’essaie de vivre ma vie pleinement. Depuis que j’ai eu ce déclic, je me sens moi-même, je suis plus épanouie. Et je me dis qu’il faut se donner du temps pour soi pour être prêt à “retrouver” l’autre un jour.” explique-t-elle
Partager son expérience au sein de groupes de parole ou auprès d’un thérapeute peut également s’avérer salvateur et sortir de la solitude dans laquelle ces situations tendent à nous plonger. “Combien de temps cette période va durer ?” “Que faire quand il rejette mon aide” “Ai-je bien fait de lui répondre ça” sont autant de questions que l’on peut poser librement lors de ces entrevues, sans craindre ni malaise, ni jugement.
Et lorsque l’espoir de jours meilleurs vient à manquer, gardez en tête que sortir d’une dépression est un processus long et fastidieux qui nécessite du temps, de la patience et surtout beaucoup, beaucoup d’amour.
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